Contrechamps Genève célèbre l’écoute

Contrechamps Genève & partage ton Vinyle !

L’Ensemble Contrechamps Genève a démarré une saison dense avec de nombreux highlights. Le programme est exemplaire de la nouvelle orientation de l’ensemble genevois de musique contemporaine, sous la direction artistique du percussionniste Serge Vuille. Il a repris l’ensemble il y a cinq ans et a depuis radicalement remodelé son ADN. Entretien avec Serge Vuille :

 

Portrait Serge Vuille © Serge Vuille

 

Gabrielle Weber
Contrechamps bespielt den grossen Konzertsaal der Victoria Hall in Genf, es eröffnet die Festivals Biennale Musica Venezia oder Sonic Matter Zürich oder es lädt ganz einfach – ohne Konzert – zu einem Vinyl- und neo.mx3.ch-Release-Hörwochenende in Genf ein. Die unterschiedlichen Veranstaltungen sind charakteristisch für die neue Ausrichtung des traditionsreichen Ensembles unter Serge Vuille.

Contrechamps se produit dans la grande salle du Victoria Hall à Genève, ouvre les festivals Biennale Musica Venezia ainsi que Sonic Matter à Zurich ou invite tout simplement – sans se produire en concert – à un week-end d’écoute de vinyles et de releases neo.mx3.ch à Genève. Ces différentes manifestations sont caractéristiques de la nouvelle orientation de l’ensemble dirigé par Serge Vuille.

« Contrechamps cherche un équilibre entre différentes pratiques musicales », explique Vuille.

Il y a d’une part des concerts de musique instrumentale pour grand ensemble, souvent liés à des compositeurs et à la jeune scène romande et d’autre part des projets en lien avec d’autres disciplines et genres musicaux, en combinaison avec les arts visuelles, les performances, l’électronique, la pop ou le jazz. Il s’agit toujours de proposer des expériences d’écoute très particulières.

La saison a débuté avec un concert pour le 65e anniversaire du compositeur genevois Michael Jarrell, un concert « traditionnel » pour grand ensemble au Victoria Hall. Pour ce faire, Contrechamps a commissionné sept nouvelles pièces brèves à ses étudiants. « Nous soutenons et encourageons ainsi la scène régionale, ce qui est un point important pour nous », explique Vuille.

Fin 2022, il avait déjà organisé un hommage à Éric Gaudibert, compositeur lausannois décédé il y a dix ans et qui a fortement marqué la scène. Outre Gaudibert, 22 nouvelles miniatures d’environ une minute chacune, composées par des anciens étudiants, avec des formations très différentes et librement choisies ont été interprétées.

 


Éric Gaudibert, Skript, pour vibraphone et ensemble, Contrechamps, Bâtiment des Forces Motrices de Genève, Concours de Genève, 2009, in-house production SRG/SSR-

 

 

Dans tout autre contexte, en ouverture de la Biennale Musica Venezia, Contrechamps a présenté GLIA pour instruments et électronique, une œuvre de Marianne Amacher, pionnière américaine de l’électronique et artiste décédée en 2009. Vuille s’intéresse également à l’aspect de l’expérience d’écoute commune particulière de l’œuvre d’Amacher : lors de l’ouverture du festival dans une grande salle vide et assombrie pour l’occasion du reconverti chantier naval Arsenale, le public (dont l’auteur), entouré de haut-parleurs, a suivi des modifications sonores extrêmes en déambulant, avec les instrumentistes jouant sur un podium, comme des sculpturess sonore vibrantes, ou se déplaçaient parmi les auditeurs. « GLIA est presque une installation sonore, une partie de la pièce se déroule dans les vibrations internes de l’oreille et non pas dans l’espace, la composition n’est pas basée sur une partition, mais sur les rapports des participants, ce qui exige une grande créativité de la part de chacun des interprètes », explique Vuille.

 

Maryanne Amacher, ‘GLIA’ Contrechamps dans le concert d’ouverture de la Biennale Musica Venezia, Arsenale 16.10.2023 © Gabrielle Weber

 

Pour revenir aux miniatures de Gaudibert, elles figurent désormais sur l’un des nouveaux vinyles mentionnés au début de l’article et marquent le début de la nouvelle série de vinyles Contrechamps/Speckled-Toshe, en collaboration avec le label lausannois Speckled-Toshe. « La commission de 22 compositions d’une minute chacune, a été un travail immense et des œuvres si variées ont été créées que nous voulions terminer l’hommage par un objet durable de cette nouvelle génération. Le disque vinyle est le format le plus approprié pour cela, il n’y a guère de meilleur format, tant en termes de qualité d’enregistrement, que de transmission sonore et d’objet ».

 


Daniel Zea Eric – Cara de Tigre pour ensemble et bande magnétique, l’une des 22 miniatures du nouveau disque vinyle, Contrechamps / Speckled-Toshe 2023. Le contexte: Gaudibert serait apparu en rêve à Zea sous la forme d’un tigre rieur peu après sa mort, il aurait ensuite longuement pleuré entre tristesse et joie.

 

A l’occasion du lancement du vinyle, Contrechamps a de nouveau proposé une expérience d’écoute particulière: aux 6 toits, centre culturel genevois branché situé dans le cadre d’une ancienne zone industrielle, on a pu écouter pendant un week-end les nouvelles sorties de vinyles ainsi que ses propres disques préférés dans des salons d’écoute. Un vernissage a également été organisé pour célébrer la publication récente des archives audio de Contrechamps sur neo.mx3.ch. En outre, des émissions de radio enregistrées ou diffusées en direct sur la RTS et SRF2Kultur ont été consacrées à l’écoute et à l’enregistrement qualitatif de musique contemporaine.

Tout comme le vinyle, la plateforme de la SSR représente une manière d’écouter et un soin apporté à la production : « Les deux sont liés, en apportant visibilité et continuité à la musique contemporaine – grâce à de nouvelles éditions soignées et à l’entretien d’archives historiques ».

La plateforme de la musique contemporaine suisse propose également de nombreuses œuvres rarement jouées pour des formations inhabituelles, comme Droben schmettert ein greller Stein de Michael Jarrell de 2001 pour contrebasse, ensemble et électronique.

 

Contrechamps a enregistré la pièce de Jarrell en 2005 au studio de radio Ansermet sous la direction de George Benjamin, in-house production SRG/SSR.

 

Contrechamps exploite progressivement les vastes archives radio, en remontant jusqu’en 1986, date des tout premiers enregistrements. «Il est important que de telles plateformes existent et soient appréciées. De nombreux morceaux ne sont audibles nulle part ailleurs, ce qui est unique », déclare Serge Vuille.

On peut y découvrir Feux de Caroline Charrière par exemple. La compositrice Charrière, née en 1960 à Fribourg, est décédée prématurément, en 2018 déjà et Contrechamps s’engage à promouvoir son œuvre. Vuille a également à cœur de donner plus de visibilité aux créations des compositrices et de contribuer à un meilleur équilibre des genres dans la musique contemporaine.

 


Feux pour flûte, clarinette, marimba et cordes de Caroline Charrière, sous la direction de Kaziboni Vimbayi, a été créé à Contrechamps au Victoria Hall de Genève en 2019, in-house production SRG/SSR.

 

Lors du concert d’ouverture du festival zurichois Sonic matter de cette année, Contrechamps présentera de nouvelles pièces de trois compositrices du Proche-Orient pour petit ensemble électronique. C’est là que se rejoignent d’autres passions de Vuille :  » depuis longtemps, je m’intéresse beaucoup à la scène du Proche-Orient. Elle est très vivante en termes de création, notamment dans tout ce qui touche à l’électronique », explique Vuille. Le fait que Sonic Matter collabore cette année avec le festival invité Irtijal de Bejrut est une excellente occasion pour une première collaboration. Et certainement aussi pour d’avantage d’expériences d’écoute uniques.
Gabrielle Weber

 

Evénements mentionnés:
Festival Sonic MatterBecoming / Contrechamps 30.11.2023, 19h (Einführung 18h)
Biennale Musica Venezia, Maryanna Amacher, GLIA / Contrechamps, 16.10.2023
Genève, Les 6 toits: Contrechamps: Partage ton Vinyle!, 20-22.10.2023

Speckled-Toshe; Contrechamps/Speckled-Toshe:
1.Vinyl: 22 Miniatures en hommage à Éric Gaudibert
2.Vinyl: Benoit Moreau, Les mortes

Sonic matterNilufar HabibianIrtijalles 6 toits

Émissions SRF Kultur:
Musik unserer Zeit, 18.10/21.10.23: Partage ton Vinyle! Ensemble Contrechamps Genève feiert das Hören, Redaktion Gabrielle Weber
neoblog, 7.12.22: Communiquer au-delà de la musique, Autorin Gabrielle Weber
neoblog, 19.6.2019: Ensemble Contrechamps Genève – Expérimentation et héritage, auteur Gabrielle Weber

Émissions RTS:
L’écho des pavanes, 21.10.23: Aux 6 toits, enregistrer la musique contemporaine,  auteur: Benoît Perrier
Musique d‘avenir, 30.10.23, Partage ton Vinyle, ta cassette ou ta bande Revox!  auteur: Anne Gillot

Neo-Profils:
ContrechampsDaniel ZeaFestival Sonic MatterBenoit Moreau

Communiquer au-delà de la musique

Eric Gaudibert, pianiste, compositeur et professeur genevois, fut une figure clé de la scène musicale contemporaine et expérimentale en Suisse romande. Décédé il y a dix ans, il a marqué toute une génération de musiciens en tant que pédagogue et soutenu d’importants ensembles de musique contemporaine. Du 9 au 17 décembre, ces derniers organisent un festival en son honneur, avec un marathon de concerts au Victoria Hall de Genève. A cette occasion, 22 miniatures composées par ses anciens élèves seront jouées pour la première fois.   

Gabrielle Weber  
Ils s’appellent Contrechamps, Ensemble Vortex, Eklekto Geneva Percussion Center ou encore Nouvel Ensemble Contemporain (NEC) et leur point commun est non seulement d’être très actifs sur la scène musicale contemporaine romande, mais aussi d’avoir un lien fort avec Eric Gaudibert.   

Daniel Zea, Serge Vuille et Antoine François, les directeurs artistiques de Vortex, Contrechamps et NEC, ont initié le festival en tant que projet collaboratif : « l’idée est venue spontanément en parlant d’Eric et il s’est avéré tout à fait naturel de le réaliser ensemble », estime Daniel Zea, car Gaudibert a été une figure importante pour le développement de toute la scène. La Haute école de musique Genève (HEMG) accueillera une conférence, une projection de films avec table ronde et un concert de Vortex, suivi par le marathon de concerts au Victoria Hall avec l’orchestre de la HEMG. 

Portrait Eric Gaudibert ©DR zVg. Contrechamps

Gaudibert voulait « communiquer au-delà de la musique » ce qui le poussait à enseigner. Cette communication, il l’a d’abord expérimentée en France où, après des études de piano à Lausanne et de composition à Paris, il a travaillé à partir de 1962 dans le domaine de l’animation et de la médiation musicale, dans des régions rurales. De retour en Suisse, il a enseigné la composition pendant de nombreuses années au Conservatoire Populaire de Genève, avant de rejoindre la HEMG. Michael Jarrell ou Xavier Dayer, tous deux compositeurs et professeurs renommés ayant leurs racines à Genève, ont été ses élèves et il a accompagné de nombreuses carrières nationales et internationales en tant que guide artistique, promoteur et créateur de réseaux.   

Serge Vuille, directeur de Contrechamps, même s’il n’a pas été directement élève de Gaudibert, est impressionné par la présence durable du « phénomène Gaudibert », qui s’est également manifestée par la rapidité avec laquelle d’autres partenaires ont accepté de participer au festival. Contrechamps travaille constamment avec d’anciens élèves, qu’il s’agisse d’interprètes ou de compositeurs. « C’est pourquoi je voulais que le festival reflète cet aspect enseignant-élève dans les deux directions », explique Vuille.   

Il y a d’une part Nadia Boulanger, professeure de théorie de Gaudibert à Paris : Contrechamps présente une de ses œuvres pour orchestre. Boulanger a enseigné à de nombreux compositeurs qui sont aujourd’hui joués dans le monde entier. Sa propre œuvre est en revanche rarement jouée, étant peu connue en tant que compositrice, car surtout perçue comme figure pédagogique, selon Vuille.   

D’autre part, Contrechamps a mandaté des courtes compositions aux anciens élèves de Gaudibert. Vu le nombre élevé de diplômés (45), il n’a été demandé « qu’à un » cercle régional restreint de personnes travaillant en Suisse romande ou ayant des liens étroits avec la région de participer et tous, à deux exceptions près, ont accepté. « Ce fort engagement de la part de ses élèves a été impressionnant », déclare Serge Vuille.   

Les conditions étaient une durée d’une minute seulement avec une orchestration ouverte, du grand ensemble au solo et, le cas échéant, à la bande magnétique, 22 miniatures seront présentées au public, dont des œuvres d’Arturo Corrales, Fernando Garnero, Dragos Tara ou Daniel Zea.   

Daniel Zea souligne un aspect ultérieur de la communication enseignant-élève : « Nous sommes tous très reconnaissants de ce qu’il nous a apporté et permis de faire. En même temps, il s’agissait d’un véritable échange: Eric était ouvert et curieux – il s’intéressait à ce qui nous intéressait. Nous l’avons par exemple influencé par notre intérêt pour les musiques traditionnelles de nos pays d’origine ». Zea, comme certains diplômés de la classe de composition de Gaudibert, est originaire d’Amérique du Sud. Son ensemble Vortex s’est formé pendant les cours de Gaudibert, qui l’a accompagné et encouragé jusqu’à la fin.   

 


Hekayât, pour rubâb, hautbois, hautbois baryton, alto et percussion, 2013 Production propre SRG/SSR, interprétée par Khaled Arman au rubâb, un luth arabe, est l’une des œuvres tardives de Gaudibert, dans laquelle il cherche à intégrer des instruments, leurs interprètes et des modes de jeu issus d’autres espaces culturels.

 

Électroacoustique et diversité     

Né en 1936 à Vevey, Gaudibert a étudié à Paris avec Nadia Boulanger et Henry Dutilleux. Il est connu surtout pour ses œuvres instrumentales poétiques et sonores, mais il existe aussi d’autres facettes moins connues : de retour en Suisse, il a fait des recherches sur les sons électroniques au studio expérimental de la radio de Lausanne au début des années 1970, dans une phase qu’il a lui-même définie comme « expérimentale ».   

 

Portrait Eric Gaudibert zVg. Contrechamps  

 

Vortex consacre un concert entier à ses œuvres électroacoustiques, ce qui correspond à l’orientation multimédia de l’ensemble : « c’est une phase importante de son œuvre, trop rarement présentée », explique Daniel Zea. Avec John Menoud, compositeur et multi-instrumentiste, il a rendu visite à Jacqueline, la veuve de Gaudibert et ils ont passé au crible nombreuses vidéos, cassettes audio et partitions. Des pièces pour instruments et bande magnétique ou instruments électroniques, souvent jouées qu’une ou deux fois, seront interprétées par des musiciens qui ont travaillé en étroite collaboration avec Gaudibert. Benoît Moreau joue par exemple « En filigrane » pour épinette et bande magnétique, qui n’a été joué qu’une seule fois par Gaudibert lui-même lors de la création en 2018 – à laquelle Moreau était présent.   

Le choix du répertoire pour le concert de clôture montre la diversité de Gaudibert. « Nous avons choisi de combiner des œuvres clés comme Gong – sa dernière grande œuvre d’ensemble – avec des pièces rarement jouées, afin de montrer la diversité de son œuvre », explique Vuille. Gong est dédié au pianiste Antoine Françoise, qui l’interprètera avec l’ensemble Contrechamps pendant le festival. Françoise, aujourd’hui pianiste soliste de renommée internationale et directeur du NEC, avait une relation étroite avec Gaudibert, qui, pianiste lui-même, l’a accompagné et a soutenu son développement depuis leur première rencontre à l’âge de 16 ans en misant sur ses compétences pour l’exigeante partie de Gong quand il avait 24 ans seulement. 

 


Gong &Lémanic moderne ensemble, Production propre SRG/SSR


En plus de ces œuvres instrumentales, la phase électroacoustique de Gaudibert sera également représentée au Victoria Hall : Vortex présente “Ecritures de 1975 pour voix soliste et bande magnétique” créé au studio expérimental de Lausanne, dans une nouvelle version pour quatre voix réparties dans l’espace. « La pièce continue à vivre avec de nouvelles possibilités techniques. Cela aurait été dans l’esprit de Gaudibert », dit Zea. Eric Gaudibert aurait certainement apprécié que ses anciens élèves continuent à collaborer, dans une communication au-delà de la musique. 
 
Gabrielle Weber

 

Nadia Boulanger, Henri Dutilleux

Dans le film portrait : Eric Gaudibert, pianiste, compositeur, enseignant (Plans fixes, 48min, Suisse, 2005), Gaudibert s’exprime sur ses grands thèmes, par exemple son goût pour la littérature et la peinture, le temps passé à Paris, l’enseignement et les influences d’autres cultures dans sa création musicale : le film sera au centre d’une table ronde au Festival Gaudibert de Genève le 10 décembre.

Festival Gaudibert:

9/10 décembre 2022, HEMG : Congrès / Concerts : Lors du congrès à la HEMG, les compositeurs et professeurs Xavier Dayer, Nicolas Bolens ou l’ethnomusicologue et interprète Khaled Arman, entre autres, discuteront.
17 décembre 2022, Victoria Hall Genève, 18:30h : Concert marathon Contrechamps, Eklekto, le NEC, Vortex, orchestre de la HEMG, chef d’orchestre : Vimbayi Kaziboni, Gaudibert, Boulanger, UA 22 miniatures

émission RTS:
musique d’avenir, 6.2.23Festival Gaudibert 2022, auteur Anne Gillot

Neo-Profils
Eric Gaudibert, Daniel Zea, Antoine Françoise, Arturo Corrales, Fernando Garnero, Dragos Tara, Ensemble Vortex, Contrechamps, Nouvel Ensemble Contemporain, Eklekto Geneva Percussion Center, John Menoud, Benoit MoreauEnsemble Batida, Xavier Dayer, Michael Jarrell

Musique de création – de Genève à la GdN de Bâle

Gabrielle Weber : Interview Jeanne Larrouturou, Ensemble Batida & Diĝita : Romandie @GdN Basel_1, 26.11.10

L’instrumentation est inhabituelle mais convaincante : trois percussionnistes et deux pianos. Diĝita, une collaboration entre le collectif de dessinateurs Hécatombe et l’ensemble genevois Batida, qui associe musique et bande dessinée, peut être qualifiée d’encore plus inhabituelle. Le 26 novembre à la Gare du Nord, en saison « Romandie ».

Le focus de la Gâre Du Nord de Bâle pour la musique nouvelle s’étend sur trois saisons, avec trois fois trois concerts. À long terme, cela permettra de renforcer les liens entre régions linguistiques, particulièrement importantes en ce moment, car les ensembles romands ne peuvent pas s’y produire en raison des directives actuelles.

Le neoblog présente les ensembles invités et neo.mx3 vous invite à découvrir le concerts en direct avec la RTS.
Premier épisode : Ensemble Batida Genève : un portrait

Gabrielle Weber
J’ai discuté avec Jeanne Larrouturou, percussionniste et co-directrice artistique, via Zoom, depuis son Lockdown genevois. Larrouturou de nationalité française, a grandi à Genève et après avoir étudié à la Haute école de musique Genève (HME), elle s’est spécialisée dans la musique contemporaine à Bâle. Depuis, elle joue un rôle de médiatrice entre les scènes musicales des deux régions.

Ensemble Batida: Concert Le Scorpion © Pierre-William Henry

Le line-up de l’ensemble Batida est plutôt le fruit du hasard. Larrouturou explique que Batida a été formé à l’origine comme une « formation classique Bartok », en référence à la sonate pour deux pianos et percussions de Bartok composée en 1937/38. En 2010, quatre des membres de l’ensemble se sont réunis pour un concert final à la HME. D’autres performances communes ont suivi. Lorsqu’un percussionniste a quitté le groupe pour un séjour à l’étranger, Larrouturou est intervenue et est restée. Depuis, la formation de base n’a plus changée: les trois percussionnistes Jeanne Larrouturou, Alexandra Bellon et Anne Briset complètent Viva Sanchez Reinoso et Raphaël Krajka au piano.

Un coup de chance, car de nombreuses nouvelles œuvres ont été créées pour cette formation unique. D’une part par les compositeurs amis, d’autre par la composition collective des membres de l’ensemble. Cela aussi a commencé par hasard. Dans le cadre d’un projet avec une compagnie de danse, le chorégraphe avait demandé à Batida de composer quelque chose. « C’est ainsi que la première commission de composition est née et que nous avons continué à composer ensemble par la suite. Après cela, nous avons composé pour un projet avec un théâtre de marionnettes », dit Larrouturou.

Ensemble Batida, Haïku, composition collective 2013

« Le processus de composition se base premièrement sur l’expérimentation. Nous avons une idée de la structure générale, un concept. Ensuite, nous « faisons » : nous jouons, nous nous écoutons les uns les autres, nous nous enregistrons, nous écoutons la musique enregistrée ensemble. Nous structurons, organisons et enregistrons ». Une sorte de création qui combine l’improvisation et la notation. En règle générale, les éléments d’improvisation sont également préservés et maintenus.

musique de création

L’ensemble ne souhaite pas se situer dans un genre musical défini. « Nous sommes actifs dans la musique contemporaine. Mais nous n’aimons pas tellement ce qui se cache derrière l’étiquette », explique Larrouturou. En France, il existe plusieurs autres définitions réussies : « Musique de création » est le plus approprié pour elle : « le terme est suffisamment ouvert, mais en même temps, il exclut les « musiques contemporaines » traditionnelles.

Ensemble Batida: Mean E, kollektive Komposition 2013

Jusqu’à présent, Batida n’a eu que très peu de concerts en Suisse alémanique. Après le Concours Nicati de Berne 2014, des représentations au Festival ZeitRäume de Bâle et à Andermatt ont suivi. En Suisse romande et à l’étranger par contre, l’ensemble s’est produit dans le cadre de nombreux festivals, avec des tournées en France, en Russie, au Portugal et à Chypre. Une autre – avec Diĝita aux États-Unis – est prévue, mais a dû être reportée à cause de la pandémie.

Voici comment Larrouturou s’exprime à propos des échanges entre régions linguistiques : « Je vis à Bâle depuis environ quatre ans et j’ai mon réseau entre Bâle, Genève et Lausanne. Je ne cesse de m’étonner du peu de connaissance que les scènes ont l’une de l’autre. À l’université de Bâle, j’ai remarqué qu’il y avait des différences fondamentales dans l’orientation esthétique, certains artistes y sont considérés incontournables, en Suisse romande par contre ils sont pratiquement inconnus. La partie francophone de la Suisse est plus étroitement liée à la France, la partie germanophone à l’Allemagne ».

Avec le compositeur Kevin Juillerat, qui comme elle a étudié à Bâle tout en étant basé à Lausanne, Larrouturou s’occupe de la série de concerts Fracanaüm à Lausanne, dans le cadre de laquelle, ils travaillent pour surmonter ces divisions. « On ne se demande même pas d’où quelqu’un vient et nous invitons des acteurs provenant des deux régions. Je suis convaincue, qu’à partir de ces petites initiatives, des relations se développent sur le long terme ».

Mais Batida souhaite également construire des ponts. La plupart des projets sont transdisciplinaires et développés en collaboration avec d’autres artistes, provenants des domaines de la danse, du théâtre de marionnettes, de l’architecture, de la vidéo ou de la bande dessinée.

La collaboration avec le collectif de dessinateurs genevois Hécatombe par exemple ne s’est jamais arrêtée, depuis leur premier projet commun en 2016.

Ensemble Batida & Hécatombe: Oblikvaj, composition collective 2016-2018

« Au cours du premier projet commun ‘Oblikvaj’ (2016-2018), nous avons tout de suite remarqué d’être sur la même longueur d’onde. Chacun des cinq membres d’Hécatombe a créé une partition graphique, une bande dessinée en noir et blanc de 24 pages. Batida a réagi à cela par des compositions collectives, ce qui a extrèmement bien fonctionné ». Des concerts avec des rencontres en direct ont suivi.

Dans Diĝita il s’agit premièrement du processus de création commune. « En été 2019, nous nous sommes réunis pour une retraite de 14 jours dans une vieille ferme au milieu de nulle part. Nous n’avons pas pris nos instruments, mais collecté et enregistrés des sons existants, des grosses machines, des tracteurs et des moteurs par exemple ».

Diĝita, Trailer ©Gare du Nord, Batida & Hécatombe

Le titre Diĝita évoque d’une part les ‘doigts’, d’autre part le numérique par rapport à l’analogique. Les sons enregistrés et échantillonnés font référence au numérique, les musiciens interprètes au jeu avec les doigts. Les musiciens jouent dans un cube transparent. Les murs sont des écrans sur lesquels sont projetées les vidéos en 3D des artistes dessinateurs: les figures de bande dessiné grandeur nature des vidéos se superposent en aliénant ainsi les corps des musiciens réels dans le cube.

Diĝita a pu donner un concert à Lausanne le 31 octobre : « C’était une expérience in extremis. En sachant que nous n’aurions plus joué en live, nous avons encore plus apprécié ce moment », dit Larrouturou. La tournée de Diĝita avec les concerts de Genève a été interrompue à cause du lockdown en Suisse romande.

J’ai appris en cours de conversation que Batida fête son dixième anniversaire cette année. Une célébration avec partenaires et public est prévue à Genève, mais en raison de la pandémie, elle n’aura certainement pas lieu avant 2021.
Gabrielle Weber

Ensemble Batida Portrait ©Batida

Ensemble Batida: Klaviere: Viva Sanchez Reinoso, Raphaël Krajka
Percussion; Jeanne Larrouturou, Alexandra Bellon, Anne Briset
Diĝita: Video: Giuseppe Greco, Ton: David Poissonnier

Gare du Nord: Batida & Hécatombe: Diĝita, 26.11.20, 20h
(à cause du Lockdown bâloise, Diĝita était joué deux fois pour 15 personnes, avec Livestream)

Ensemble Batida, FracanaümKevin Juillerat, haute école de musique genève – neuchâtel, Hochschule Musik Basel, Hécatombe,

émission RTS:
l’écho des pavanes, 20.11.20, rédaction Anne Gillot, entretien avec Désirée Meiser, directrice Gare du Nord
émission SRF 2 Kultur:
dans: Musik unserer Zeit zu neo.mx3, 21.10.20, rédaction Florian Hauser / Gabrielle Weber

neo-Profiles: Ensemble Batida, Gare du NordAssociation Amalthea, Kevin Juillerat