Cathy Van Eck, compositrice et artiste multimédia, marque la scène musicale contemporaine suisse et internationale par ses performances sonores subtiles et très esthétiques. Sa pièce In the Woods of Golden Resonances pour batterie solo a occupé une place particulière au sein d’une soirée musicale consacrée à la batterie. Un portrait d’Alexandre Babel.
Alexandre Babel Le slogan sonne comme une invitation : sous le titre Aufbau/Abbau (montage/démontage), le percussionniste espagnol Miguel Angel Garcia Martin a organisé une soirée de concert entièrement consacrée à la batterie solo dans la série friendly takeover de la Gare du Nord à Bâle. Six créations visaient à mettre en lumière la réalité logistique du percussionniste professionnel. En effet, le montage et le démontage de ces instruments pour un concert prennent en général presque autant de place et d’importance que le moment musical lui-même. Même si le thème de la soirée peut paraître a priori anecdotique, il était en l’occurrence à la base d’un questionnement aux nombreuses ramifications, que tous les contributeurs invités se sont appropriés en créant une nouvelle œuvre. In the Woods of Golden Resonances de Cathy Van Eck en est un exemple révélateur.
Entretien avec Serge Vuille, directeur artistique Ensemble Contrechamps Genève
Serge Vuille
Gabrielle Weber
Après dix ans de séjour à Londres, Serge Vuille, percussionniste et directeur sortant de l’ensemble de musique contemporaine WeSpoke– est de retourenSuisse romande, sa région natale, où il a repris la direction artistique de l’ensemble Contrechamps. Dans cet entretien,Serge Vuilleparle du positionnement de Contrechamps et présente sa première saison qui débutera en septembre 2019. Serge Vuille, en tant que jeune musicien–percussionniste et programmateur, vous venez plutôt de la scène expérimentale. Vous vous trouvez à la tête de l’ensemble le plus important et le plus riche en traditions de Suisse romande. Quelle est votre position par rapport à la tradition et à l’histoire de l’ensemble? Les quarante ans d’histoire de Contrechamps sont un héritage qui me tientà cœur.Il y a un coté« muséal« crucial à un ensemble contemporaine, continuer à faire vivre des chefs-d’œuvrequi sont historiquement importants.D‘un autre coté il y a toute la partie concernant la création, la recherche et l‘expérimentation. J’aime bien mettre en relation ces deux aspects dans mes programmes.
Comment l’Ensemble Contrechamps se positionne-t-il en tant que véritable ensemble instrumental vis-à-vis des tendances transdisciplinaires et multimédia? Cette question est centrale dans le cadre de l’activité d’un ensemble comme Contrechamps: Quelle est la place de l’instrument acoustique dans l’expérimentation sonore et musicale au 21ième siècle?Jeconstate qu’il y a toujours une grande fascination pour la musique instrumentale,le concept de virtuosité et même tout simplement le son acoustique.
« Il y a un aspect qui reste absolument magique, être assis dans une salle silencieuse, etentendre un instrument. »
C’est important de trouver un équilibre entre le répertoire, qui fait partie de l’histoire et de l’ADN de l’ensemble, et de l’autre côté, de chercher des nouvelles solutions pour une création de musique instrumentale ou hybride, dans un paysage musical qui a connu des révolutions fondamentales, depuis une dizaine d’années. La prochaine saison, on invitera non seulement des compositeurs classiques, mais aussi des artistes, des danseuses qui approchent le concept de composition.
Concert, Maryanne Amacher, Geneva, May 7, 2019, Ensemble Contrechamps
Vous avez programmé deux concerts dans la saison en cours qui reflètent deux aspects principaux de votre travail des annéespassées :l’espace collaboratif entre les arts plastiques et lamusique instrumentale… Le premier est intitulé Sculptures sonore. Pour ce concert j’ai invité une sculptrice sonore, Rebecca Glover.Pendant le concert, les musiciens ont trouvédifférentes dispositions autour du publique, et Rebecca interagit avec ses instruments électroniques. Le programme a été complétéavec des œuvres deRebecca Saunders, Alvin Lucier et PaulaMatthusen.
Le deuxième concert présentait Marianne Ammacher, une compositrice américainequi s’intéresse à la perception du son et la conscientisation physiologique de l’écoute, avec une partie importante d’électronique, en combinaison de manière exceptionnelleavec des instruments.
« S’il fallait mettre un label sur les choses qui me plaisent en programmation, ça serait des créations, avec beaucoup d’expérimentation et une grande prise de risque, placées dans le contexte et en vis-à-vis du canon historique. »
On voitdans les programmes mentionnés,que vous vous engagez pour l‘équilibre des genres dans la programmation.
La question de l’équilibre des genresest une question sociétale, qui n’est pas spécifique à la musique contemporaine.Les artsdoivent aussi jouer un rôlede modèle danslasociété. Chercher un équilibreoblige par contre à orienter sarecherche.Ce qui me convaincfinalement c’est les résultats des recherches: la qualité de mon programme est atteintegrâce à cet équilibre.
Vousvous intéressez beaucoup à l’aspect social du concert, au rituel qui l’accompagne… Le coté social de la démarche artistiqueesttoujoursnégligé dans le monde de la musique contemporaine. On doit chercher des formats qui encouragent à prendre un risque vis-à-vis descontenuset permettent des échanges de manière spontanée. Mon expérience comme curateur de la série Kammerklang au Café Otto à Londres m’a convaincu que c’est possible : créer une ambiance qui soit détendue, toute en arrivant à garder la concentration nécessaire. Mais il faut y prêter attention.
Qu‘est-ce qu’on peut attendre de la nouvelle saison? Le titre de la saison est résonance par sympathie. C‘est un processus physique à travers lequel des instruments qui sont placés proche d’une source sonorecommencent à résonner même si on ne les touche pas. Mon expérience à Genèveétait que j’ai pu rencontrer beaucoup de partenaires,sentirqu’il y avait des résonances qui commençaient à s’activer. Une grande partie de la saison estconstruiteautour de cela.
Dans cette saison, il yaura douze concerts, avec des nombreuses créations et beaucoup d’expérimentation, par exemple un opéra de Mathieu Shlomowitz, en collaboration avec le Grand Théâtre de Genève.
En ce qui est des compositions, nous avons invité–entre autres – Christine Sun Kim, artiste visuelle sourde-muette, le musicien électronique Thomas Ankersmit, le compositeur genevois Jacques Demierre, la canadienne ChiyokoSzlavnics et le groupe Punk-Rock genevois Massicot, etc.Trois concerts seront donnés à la « Gare du Nord » à Bâle, où Contrechamps est invité. On commence la saison, avec une préouverture, le 25 août, à six heures du matin auxBains des Pâquis avec le Quatuor pour la fin du temps d’Olivier Messiaen ; c’est au lever du soleil, au bord du lac, en plein air, dans une atmosphère complètement magique…
Est-ce qu’il reste des souhaits pour l’Ensemble? Mon souhait c’est de présenter la scène dans toute sa diversité, toute sa richesse, avec un équilibre entre le passé, le présent et le futur, entre les genres et entre les formats, ainsi qu’entre les artistes et le publique.