Contrechamps Genève célèbre l’écoute

Contrechamps Genève & partage ton Vinyle !

L’Ensemble Contrechamps Genève a démarré une saison dense avec de nombreux highlights. Le programme est exemplaire de la nouvelle orientation de l’ensemble genevois de musique contemporaine, sous la direction artistique du percussionniste Serge Vuille. Il a repris l’ensemble il y a cinq ans et a depuis radicalement remodelé son ADN. Entretien avec Serge Vuille :

 

Portrait Serge Vuille © Serge Vuille

 

Gabrielle Weber
Contrechamps bespielt den grossen Konzertsaal der Victoria Hall in Genf, es eröffnet die Festivals Biennale Musica Venezia oder Sonic Matter Zürich oder es lädt ganz einfach – ohne Konzert – zu einem Vinyl- und neo.mx3.ch-Release-Hörwochenende in Genf ein. Die unterschiedlichen Veranstaltungen sind charakteristisch für die neue Ausrichtung des traditionsreichen Ensembles unter Serge Vuille.

Contrechamps se produit dans la grande salle du Victoria Hall à Genève, ouvre les festivals Biennale Musica Venezia ainsi que Sonic Matter à Zurich ou invite tout simplement – sans se produire en concert – à un week-end d’écoute de vinyles et de releases neo.mx3.ch à Genève. Ces différentes manifestations sont caractéristiques de la nouvelle orientation de l’ensemble dirigé par Serge Vuille.

« Contrechamps cherche un équilibre entre différentes pratiques musicales », explique Vuille.

Il y a d’une part des concerts de musique instrumentale pour grand ensemble, souvent liés à des compositeurs et à la jeune scène romande et d’autre part des projets en lien avec d’autres disciplines et genres musicaux, en combinaison avec les arts visuelles, les performances, l’électronique, la pop ou le jazz. Il s’agit toujours de proposer des expériences d’écoute très particulières.

La saison a débuté avec un concert pour le 65e anniversaire du compositeur genevois Michael Jarrell, un concert « traditionnel » pour grand ensemble au Victoria Hall. Pour ce faire, Contrechamps a commissionné sept nouvelles pièces brèves à ses étudiants. « Nous soutenons et encourageons ainsi la scène régionale, ce qui est un point important pour nous », explique Vuille.

Fin 2022, il avait déjà organisé un hommage à Éric Gaudibert, compositeur lausannois décédé il y a dix ans et qui a fortement marqué la scène. Outre Gaudibert, 22 nouvelles miniatures d’environ une minute chacune, composées par des anciens étudiants, avec des formations très différentes et librement choisies ont été interprétées.

 


Éric Gaudibert, Skript, pour vibraphone et ensemble, Contrechamps, Bâtiment des Forces Motrices de Genève, Concours de Genève, 2009, in-house production SRG/SSR-

 

 

Dans tout autre contexte, en ouverture de la Biennale Musica Venezia, Contrechamps a présenté GLIA pour instruments et électronique, une œuvre de Marianne Amacher, pionnière américaine de l’électronique et artiste décédée en 2009. Vuille s’intéresse également à l’aspect de l’expérience d’écoute commune particulière de l’œuvre d’Amacher : lors de l’ouverture du festival dans une grande salle vide et assombrie pour l’occasion du reconverti chantier naval Arsenale, le public (dont l’auteur), entouré de haut-parleurs, a suivi des modifications sonores extrêmes en déambulant, avec les instrumentistes jouant sur un podium, comme des sculpturess sonore vibrantes, ou se déplaçaient parmi les auditeurs. « GLIA est presque une installation sonore, une partie de la pièce se déroule dans les vibrations internes de l’oreille et non pas dans l’espace, la composition n’est pas basée sur une partition, mais sur les rapports des participants, ce qui exige une grande créativité de la part de chacun des interprètes », explique Vuille.

 

Maryanne Amacher, ‘GLIA’ Contrechamps dans le concert d’ouverture de la Biennale Musica Venezia, Arsenale 16.10.2023 © Gabrielle Weber

 

Pour revenir aux miniatures de Gaudibert, elles figurent désormais sur l’un des nouveaux vinyles mentionnés au début de l’article et marquent le début de la nouvelle série de vinyles Contrechamps/Speckled-Toshe, en collaboration avec le label lausannois Speckled-Toshe. « La commission de 22 compositions d’une minute chacune, a été un travail immense et des œuvres si variées ont été créées que nous voulions terminer l’hommage par un objet durable de cette nouvelle génération. Le disque vinyle est le format le plus approprié pour cela, il n’y a guère de meilleur format, tant en termes de qualité d’enregistrement, que de transmission sonore et d’objet ».

 


Daniel Zea Eric – Cara de Tigre pour ensemble et bande magnétique, l’une des 22 miniatures du nouveau disque vinyle, Contrechamps / Speckled-Toshe 2023. Le contexte: Gaudibert serait apparu en rêve à Zea sous la forme d’un tigre rieur peu après sa mort, il aurait ensuite longuement pleuré entre tristesse et joie.

 

A l’occasion du lancement du vinyle, Contrechamps a de nouveau proposé une expérience d’écoute particulière: aux 6 toits, centre culturel genevois branché situé dans le cadre d’une ancienne zone industrielle, on a pu écouter pendant un week-end les nouvelles sorties de vinyles ainsi que ses propres disques préférés dans des salons d’écoute. Un vernissage a également été organisé pour célébrer la publication récente des archives audio de Contrechamps sur neo.mx3.ch. En outre, des émissions de radio enregistrées ou diffusées en direct sur la RTS et SRF2Kultur ont été consacrées à l’écoute et à l’enregistrement qualitatif de musique contemporaine.

Tout comme le vinyle, la plateforme de la SSR représente une manière d’écouter et un soin apporté à la production : « Les deux sont liés, en apportant visibilité et continuité à la musique contemporaine – grâce à de nouvelles éditions soignées et à l’entretien d’archives historiques ».

La plateforme de la musique contemporaine suisse propose également de nombreuses œuvres rarement jouées pour des formations inhabituelles, comme Droben schmettert ein greller Stein de Michael Jarrell de 2001 pour contrebasse, ensemble et électronique.

 

Contrechamps a enregistré la pièce de Jarrell en 2005 au studio de radio Ansermet sous la direction de George Benjamin, in-house production SRG/SSR.

 

Contrechamps exploite progressivement les vastes archives radio, en remontant jusqu’en 1986, date des tout premiers enregistrements. «Il est important que de telles plateformes existent et soient appréciées. De nombreux morceaux ne sont audibles nulle part ailleurs, ce qui est unique », déclare Serge Vuille.

On peut y découvrir Feux de Caroline Charrière par exemple. La compositrice Charrière, née en 1960 à Fribourg, est décédée prématurément, en 2018 déjà et Contrechamps s’engage à promouvoir son œuvre. Vuille a également à cœur de donner plus de visibilité aux créations des compositrices et de contribuer à un meilleur équilibre des genres dans la musique contemporaine.

 


Feux pour flûte, clarinette, marimba et cordes de Caroline Charrière, sous la direction de Kaziboni Vimbayi, a été créé à Contrechamps au Victoria Hall de Genève en 2019, in-house production SRG/SSR.

 

Lors du concert d’ouverture du festival zurichois Sonic matter de cette année, Contrechamps présentera de nouvelles pièces de trois compositrices du Proche-Orient pour petit ensemble électronique. C’est là que se rejoignent d’autres passions de Vuille :  » depuis longtemps, je m’intéresse beaucoup à la scène du Proche-Orient. Elle est très vivante en termes de création, notamment dans tout ce qui touche à l’électronique », explique Vuille. Le fait que Sonic Matter collabore cette année avec le festival invité Irtijal de Bejrut est une excellente occasion pour une première collaboration. Et certainement aussi pour d’avantage d’expériences d’écoute uniques.
Gabrielle Weber

 

Evénements mentionnés:
Festival Sonic MatterBecoming / Contrechamps 30.11.2023, 19h (Einführung 18h)
Biennale Musica Venezia, Maryanna Amacher, GLIA / Contrechamps, 16.10.2023
Genève, Les 6 toits: Contrechamps: Partage ton Vinyle!, 20-22.10.2023

Speckled-Toshe; Contrechamps/Speckled-Toshe:
1.Vinyl: 22 Miniatures en hommage à Éric Gaudibert
2.Vinyl: Benoit Moreau, Les mortes

Sonic matterNilufar HabibianIrtijalles 6 toits

Émissions SRF Kultur:
Musik unserer Zeit, 18.10/21.10.23: Partage ton Vinyle! Ensemble Contrechamps Genève feiert das Hören, Redaktion Gabrielle Weber
neoblog, 7.12.22: Communiquer au-delà de la musique, Autorin Gabrielle Weber
neoblog, 19.6.2019: Ensemble Contrechamps Genève – Expérimentation et héritage, auteur Gabrielle Weber

Émissions RTS:
L’écho des pavanes, 21.10.23: Aux 6 toits, enregistrer la musique contemporaine,  auteur: Benoît Perrier
Musique d‘avenir, 30.10.23, Partage ton Vinyle, ta cassette ou ta bande Revox!  auteur: Anne Gillot

Neo-Profils:
ContrechampsDaniel ZeaFestival Sonic MatterBenoit Moreau

Musique improvisée à Genève – portrait de l’AMR

L’AMR (Association pour l’encouragement de la Musique impRovisée) de Genève est la plus ancienne institution de musique improvisée en Suisse. Fondée en 1973, elle s’est engagée non seulement pour les concerts centrés sur l’improvisation, mais aussi pour offrir des possibilités de répétition ainsi que pour l’enseignement de la musique improvisée. Son engagement de près de 50 ans est aujourd’hui récompensé par le Prix spécial Musique 2022.

Le « Sud des Alpes » de l’AMR

Jaronas Scheurer
Dans les genres de niche comme la musique improvisée, la plupart du travail est en général effectuée à titre bénévole. Les salaires des musiciens sont bas, le travail en coulisses repose sur la bonne volonté et les rares fonds sont limités. La pandémie, pendant laquelle aucun concert n’a pu être organisé a rendu la planification encore plus incertaine en aggravant ultérieurement la situation. Mais ce n’est pas le cas à Genève où l’AMR a tout de même payé les musiciens prévus au programme, même s’ils n’ont pas pu jouer, ainsi que les techniciens et le personnel qui n’a pas pu travailler. C’est non seulement très louable, mais aussi assez inhabituel. « Nous avions l’argent et nous les avions réservés, en plus les musiciens avaient moins de tutelles que les organisateurs », explique Brooks Giger, secrétaire de la commission de programmation de l’AMR et contrebassiste.

 


John Menoud: Which way does the blood red river flow? Nouvel Ensemble Contemporain et le trompettiste Mazen Kerbaj, 2017. John Menoud et membre de la commission de programmation de l’AMR.

 

Une étoile fixe du paysage culturel genevois

L’AMR existe depuis 1973, soit depuis près de cinquante ans. Dans les années 70, la scène free jazz européenne était en ébullition. Peter Brötzmann, Alexander von Schlippenbach, Peter Kowald & Co. en Allemagne, Irène Schweizer et Pierre Favre en Suisse, John Stevens avec son « Spontaneous Music Ensemble » ou enncore l’ensemble d’improvisation AMM en Angleterre et aux États-Unis, c’était la folie : Charles Mingus, Alice et John Coltrane, Ornette Coleman, Sam Rivers, etc. À Genève, quelques musiciens se sont réunis pour s’adonner à cette musique.

C’est ainsi qu’est née l’idée de l’AMR et dès sa création, les membres de l’association savaient qu’il ne s’agissait pas seulement d’offrir une scène à la musique improvisée et d’organiser des concerts. « Il y avait une grande envie des membres fondateurs de l’AMR d’avoir un endroit pour se retrouver, travailler et créer ensemble. Où écouter cette musique en concert mais aussi la transmettre ». – explique Brooks Giger. Dès le début, l’AMR a voulu non seulement organiser des concerts, mais aussi être une école de musique et louer des salles de répétition. Avec ce concept, elle a trouvé une oreille attentive auprès de la ville de Genève et rapidement obtenu une base financière pour réaliser ces idées. « Nous avons sans doute aussi eu beaucoup de chance d’obtenir le soutien de la ville dans les années 70 et de le recevoir aujourd’hui encore », remarque Brooks Giger à propos de la situation particulière de Genève.

En 1981, l’AMR a pu louer un bâtiment à la rue des Alpes, le « Sud des Alpes », qui est toujours son centre et siège. Jusqu’en 2006, le « Sud des Alpes » a été progressivement transformé et aujourd’hui on y trouve non seulement les bureaux de l’association, mais aussi 13 salles de répétition (dont deux pour grands ensembles) ainsi que deux salles de concert, l’une au sous-sol pour 50 personnes et l’autre au rez-de-chaussée pour 120 personnes.

Entre-temps, l’AMR fait partie intégrante du paysage culturel de la ville et Brooks Giger le décrit ainsi : « Si quelqu’un en ville demande où l’on peut écouter du jazz – la réponse est AMR. Si quelqu’un cherche des musiciens pour un concert – AMR ». Ils sont devenus une référence en matière de jazz et de musique improvisée à Genève, ce qui leur permet de recevoir encore de l’argent de la ville – « on croise les doigts », dit Giger.

De la période de fondation de l’AMR 1973.

Programme entre scène locale et les grands noms internationaux

Le soutien financier de la ville de Genève est également lié à des conditions : au moins 60% des musiciens qui se produisent doivent être originaires de la région. La programmation des 250 à 300 concerts annuels et des deux festivals est donc toujours un exercice d’équilibre entre les artistes locaux, les grands noms nationaux et les invités internationaux. Les ateliers organisés à l’AMR montrent également ce qu’ils ont appris lors de concerts réguliers. Ainsi, le saxophoniste vedette new-yorkais Chris Potter et son quartet, un combo sud-africain et suisse, un groupe de jazz local et l’atelier funk de l’AMR peuvent se produire pendant la même semaine. Cet air de fair-play ne se respire pas seulement sur le programme des concerts, car les employés de l’AMR sont tous eux-mêmes musiciens. Grâce à leur emploi à temps partiel (entre 30 et 60%) au sein de l’AMR, ils disposent d’une base d’existence stable. Les musiciens qui se produisent et qui sont domiciliés en Suisse peuvent également être engagés par l’AMR, ce qui leur garantit certaines prestations sociales. Les prix d’entrée sont modérés, de sorte que tout le monde puisse se permettre d’assister aux concerts et il y a quelques années, un groupe pour promouvoir l’équilibre entre les sexes dans le programme des concerts a été constitué.

Le groupe genevois Noe Tavelli & The Argonauts à l’AMR Jazz Festival 2022

Un bijou genevois pour la musique improvisée

En 2022, l’AMR a une fondation solide, elle dispose d’un lieu avec les locaux nécessaires pour l’enseignement, les concerts et les répétitions, le soutien financier semble assuré à long terme, l’AMR a donc réussi à traverser la pandémie et présente à nouveau un programme de concerts varié et intéressant. Mais surtout, l’AMR a derrière elle une scène musicale vivante et engagée. L’engagement en faveur de la musique improvisée vient d’être récompensé par l’Office fédéral de la culture qui lui a décerné le Prix spécial Musique 2022 : « L’association est un microcosme de culture, d’égalité, de confrontation et de croissance », écrit l’OFC dans sa décision.

Nasheet Waits Equality Quartet à l’AMR Jazz Festival 2013, ©Juan Carlos Hernandez

Brooks Giger ne considère toutefois pas la croissance comme une priorité absolue. « Nous faisons déjà beaucoup avec les concerts, les festivals, les ateliers et les salles de répétition. On n’a pas forcément besoin d’en faire plus. Ce que nous avons est déjà un bijou, un diamant. Nous devons simplement continuer à le polir et à l’entretenir ».

L’année prochaine, l’AMR fêtera ses 50 ans. Il y aura bien sûr encore quelques particularités, comme une exposition de photos aux Bains de Pâquis et une publication avec photos et essais. Un documentaire sur l’AMR est également en cours de réalisation et bien sûr, le « Sud des Alpes » continuera à proposer de la bonne musique, genevoise, suisse et du monde entier.
Jaronas Scheurer

Le site internet de l’AMR et son programme de concert.
L’éloge du jury du Prix spécial Musique 2022 pour l’AMR.
Le canal Youtube de l’AMR.

Neo-Profile:
John Menoud, d’incise, Alexander Babel, Daniel Zea