Nora Vetter – Les contextes performatifs

Nora Vetter, violoniste alto et compositrice basée à Lucerne était en 2023-2024 bénéficiaire du réseau Double Classic du Pour-cent culturel Migros. La plateforme de mentorat permet chaque année à plusieurs musiciennes et musiciens de travailler en profondeur sur un projet spécifique, en bénéficiant de l’acompagnement d’un ou d’une coach. A cette occasion, nous revenons avec elle sur ses processus de création et ses impressions après une année de coaching, qui a mené à la réalisation d’une nouvelle oeuvre pour batterie solo. Un Portrait d’Alexandre Babel.


Portrait Nora Vetter zVg. Nora Vetter

 

Alexandre Babel
Après un master en musique contemporaine à Bâle, Nora Vettter a choisi la ville de Lucerne où elle s’engage activement comme altiste avec l’ensemble Latenz et le collectif Kulturbrauerei, dans la production d’événements avec le Forum Neue Musik ou autour de projets performatifs avec le collectif VAMM! Elle fait partie de ces instrumentistes dont l’engagement ramifié dans une pluralité de contextes contemporains l’a amené à se questionner sur sa propre force créative. Ainsi depuis 2019, elle développe un corpus de travaux de composition, une manière pour elle de structurer le lien entre l’espace et l’action musicale. 
 

“J’aime écrire pour des lieux particuliers, c’est comme ça que j’ai commencé. Mon premier projet se déroulait dans les Silos à grains désaffectés de Altdorf dans le canton d’Uri en 2019. L’espace architectural était extraordinaire, avec une réverbération de près de quinze secondes.” explique Nora Vetter. “J’y ai présenté deux travaux sonores. L’un consistait à faire tomber des morceaux de pain sec depuis l’ouverture du toit du silo. Au sol, deux assistants devaient en recueillir les miettes et les placer dans des sacs. Cela produisait une série petites bombes dont l’impact au sol augmenté de la réverbération acoustique posait la base d’une structure sonore”. En apparence performative et phénoménologique, cette première action abrite une volonté de sculpter le son et de l’organiser dans l’espace temporel. En même temps, le contexte architectural revêt ici une telle importance qu’il va influencer la perception du phénomène sonore. Des préoccupations que Nora Vetter aime souligner, quel que soit le contexte formel de ses travaux.

En 2022, lors du concert de clôture du Festival Forward dans le cadre du Lucerne Festival, le collectif VAMM! qu’elle compose avec Urban Mäder, Peter Allamand et Pia Matthes proposait Ein sauberes Ende, une ‘intervention collective’ pendant laquelle un groupe de près de trente intervenant:es entreprend une action de nettoyage à la fin du concert. “La performance n’était pas vraiment un nettoyage conventionnel” explique Nora Vetter, “et nous avons introduit des outils qui n’appartenaient pas au matériel du bâtiment, comme des pinces à déchets et des souffleurs à feuilles, qui dispersaient les partitions au début de la pièce.”

 

Urban Mäder, Peter Allamand Pia Matthes et Nora Vetter, Ein sauberes Ende, UA Lucerne Festival Forward, Konzertsaal KKL, November 2022.

 

Quand on s’interroge sur la part compositionnelle d’une telle intervention, Vetter précise: “Si l’idée de départ était bien de nettoyer l’espace alors que le public était encore assis dans la salle, nous avons petit à petit donné une dimension musicale à l’action. Je définirais plutôt cette pièce comme une composition, puisque nous avons prêté attention à la succession des sons, à la superposition des textures sonores que nous voulions consciemment entendre dans un certain ordre.”

Cette dualité entre action performative et structure musicale, Nora Vetter la représente dans des travaux tels que Dream Paralysis, une pièce de concert écrite en 2021 pour lensemble Latenz. “Alors que mon travail dans les Silos à grain d’Altdorf s’adaptait à un lieu existant, Dream Paralysis est dédiée à un groupe de gens en particulier.” décrit Vetter. “Mais j’avais besoin d’un élément en plus avec lequel je puisse modeler l’espace visuel. Je me suis tourné vers l’utilisation de la lumière, en la distribuant en plusieurs couches distinctes: des tubes à néon et des lampes de poche opérées par les interprètes et les lumières de scène qui dessinaient différents tableaux programmés d’après la forme musicale. Ces éléments constituent le point de départ d’un espace dédié au rêve”. La pièce, qui s’inspire des cycles du sommeil, joue avec la combinaison des sources perceptives. Elle poursuit: “Lorsque la lumière diminue, la perception se modifie. Au fait lorsqu’on atténue le champs visuel, la capacité de percevoir d’autres éléments s’amplifie en conséquence, j’aime cette idée. »

 

Nora Vetter, Dream Paralysis

 

On retrouve dans Dream Paralysis l’usage de gestes performés non reliés à la production de son, mais qui participent activement à la dramaturgie compositionnelle. Un attribut performatif qui, en apparence, distancie cette oeuvre de la dernière production de Nora Vetter, Patch work, élaborée au cours de son année de mentorat. “Patch work est un solo de batterie acoustique, écrit pour le percussionniste Ruben Bañuelos. C’est une pièce de musique pure, aux antipodes d’un travail comme Ein Sauberes Ende.” explique Vetter. Pourtant, les préoccupations performatives de la compositrice n’ont pas été oubliées. “Ce qui m’a vraiment intéressé au cours du mentorat a été de prendre conscience de la connotation que peut porter un instrument, en l’occurrence la batterie. La présence même d’une batterie seule sur la scène d’un récital est déjà un ‘statement’ performatif.” On peut alors s’interroger si la réduction de moyens n’a pas justement permis à la compositrice d’isoler l’essence même du geste scénique. “La percussion est incroyablement chorégraphique en soi” conclut Vetter. “Les gestes, parfois fins, que Ruben exécute pour produire le son racontent déjà un univers. Finalement avec cette pièce j’ai l’impression de poursuivre le même travail commencé il y a des années”.
Alexandre Babel

Portrait Nora Vetter zVg. Nora Vetter

Latenz Ensemble, Kulturbrauerei Luzern, Forum Neue Musik Luzern, Ruben Bañuelos

émissions SRF Kultur :
neoblog, 11.11.2022: Das Lucerne Festival Forward nimmt « ein sauberes Ende », Autor Jaronas Scheurer.

neoprofiles :
Nora Vetter, Urban Mäder

Marianthi Papalexandri-Alexandri et l’autonomie des objets

Les travaux de Marianthi Papalexandri-Alexandri constituent une fascination pour la vue et l’écoute. Son oeuvre qui se décline en une pluralité d’objets, d’installations sonores et de performances surprend les visiteurs et les auditeurs par la simplicité et l’élégance de son fonctionnement. Une rencontre avec l’artiste a permis de discuter du rapport intime que les objets entretiennent avec le son.

Portrait Marianthi Papalexandri-Alexandri zVg. Marianthi Papalexandri-Alexandri

Alexandre Babel
Lorsqu’on pénètre dans la salle d’exposition, une composition sonore composée de multitudes d’impulsions courtes emplit l’espace. Les sons sont si rapprochés entre eux qu’on n’en perçoit qu’une texture dense et mouvante. A l’approche de l’objet que constitue la pièce de Marianthi Papalexandri-Alexandri Modular n.3, la source du son se rapproche de l’oreille et on commence à différencier les impulsions les unes des autres. A mesure que l’on s’en approche, cet objet à la fois installatif et sculptural révèle son identité, au même titre que le son. On distingue une quantité de petits hauts-parleurs dénudés, suspendus à l’aide d2’un fil de nylon, dont l’extrémité supérieure est reliée à une poulie en bois. la poulie exerce un mouvement rotatif permanent qui, par friction avec le fil de nylon, crée des impulsions sonores amplifiées par les haut-parleurs.

 

Marianthi Papalexandri-Alexandri, modular n.3, en collaboration avec Pe Lang, 2019.

 

La musique ainsi créée par l’installation, la troisième d’une série éponyme créée en collaboration étroite avec l’artiste Pe Lang, est indissociable de son apparence physique. Si la collection de hauts-parleurs produit un univers sonore autonome, la compréhension du mécanisme de production déroule un narratif qui révèle une dimension concrète et poétique. “J’aime amener l’attention d’un auditoire sur  la manière dont un instrument est construit. Je crois que dans mes travaux, la structure est basée sur une démonstration didactique: comprendre comment ça fonctionne.” explique Papalexandri-Alexandri.

Le principe de Modular n.3 que l’on retrouve dans d’autres oeuvres de l’artiste telles que Untitled n.V ou Speaking of Membranes interroge sur les attentes liées à la fonction de l’objet. Un haut-parleur est généralement employé à la diffusion du son par le biais de l’amplification d’un courant électrique. Ici pourtant, les hauts-parleurs ne sont pas branchés, le son qui s’en dégage est acoustique.

“ On reconnait bien qu’il s’agit d’un haut-parleur, mais je veux lui donner un espace privilégié, je veux écouter sa propre voix.” Si Papalexandri-Alexandri rend le public attentif à l’essence de l’objet à travers sa mise en vibration par le dispositif kinétique, qu’en est-il lorsque l’installation n’est pas allumée, ou si l’objet était exposé comme matière inerte? L’artiste poursuit: “je me demande parfois: si un objet sonore ou musical ne produit pas de son, que lui arrive-t-il, s’agit-il d’un objet mort? Je pense que tout objet musical est fonctionnel. Lorsqu’on le met en mouvement, on explore un certain type de fonctionnalité. Mais peut-être qu’il y a différentes formes de fonctionnalité à explorer sur un même objet.”

Dans le Solo for generators, motors and wind resonators créée pour la flûtiste à bec Susanne Fröhlich, avec laquelle Marianthi Papalexandri Alexandri entretient une relation au long terme, on trouve ici aussi un rapport à l’instrument qui détourne les attentes conventionnelles. La flûte à bec a été préalablement démontée en plusieurs parties et est présentée posée à plat sur une table. Sur la même table se trouve un appareil motorisé qui met en rotation des fils reliés à des membranes qui ont été tendues sur les parties ouvertes de la flûte. Le résultat ainsi produit s’apparente à de longues onde sonores. “Comme nous avons démonté l’instrument, on ne le voit plus lui-même, on en voit des fragments.” explique la compositrice. Encore une fois, l’utilisation d’un objet musical que l’auditeur associe généralement avec une certaine utilisation, en l’occurrence la production de son en soufflant dans le bec, va être transformée en une manifestation sonore générée par l’instrument lui-même. Papalexandri-Alexandri poursuit: “Lorsque l’on place cet instrument-là sur une scène ou dans une situation installative, il devient un objet résonateur. On le voit comme un corps et non plus comme l’instrument de musique que l’on connaît. A travers ce genre de procédés, j’ai le sentiment d’offrir au public une nouvelle accessibilité à l’instrument, de lui rendre hommage.”

 

Marianthi Papalexandri-Alexandri, salon de musique du 31, Susanne Fröhlich, Festival Archipel Genève, mars 2019.

 

L’univers de Marianthi Papalexandri-Alexandri révèle une attention donnée à la précision de fabrication. On devine, au travers de la mise en place immaculée de ses dispositifs, que l’artiste s’assure un certain contrôle sur la marche des choses. Cependant, au moment de la performance, cette notion de maîtrise programmée ne confère pas à l’oeuvre une qualité rigidifiée. Au contraire, elle laisse entrevoir une dimension de fragilité qui émane des possibles imperfections liées à la marche du temps. En parlant du Solo for generators, motors and wind resonators, la compositrice nous apprend ainsi que le contrôle n’est jamais absolu. “lorsque je joue moi-même avec ce dispositif, j’arrive à le sentir et à générer des sons magnifiques, il en va de même avec Susanne (Fröhlich). Mais j’ai aussi vécu des situations où le dispositif ne fonctionnait pas pendant la performance. Cela est dû à une tension entre l’interprète et la machine qui est nécessaire pour que la pièce prenne forme.”

La dualité entre contrôle et fragilité participe à la charge poétique des oeuvres de Papalexandri-Alexandri, qui poursuit: “Finalement, il ne sagit pas vraiment de contrôle. Mon attitude consiste plutôt à accepter la façon dont les choses se déroulent.” Lorsquon interroge Marianthi Papalexandri-Alexandri sur la marche quelle aimerait donner aux choses, elle répond Que puis-je moi-même apporter? Jaimerais simplement me confronter aux objets existants, ils ont déjà tellement à raconter”.
Alexandre Babel

neo-Profil :
Marianthi Papalexandri-Alexandri, Pe LangFestival Archipel

Cathy Van Eck : le caractère transcendant d’une pièce de concert

Cathy Van Eck, compositrice et artiste multimédia, marque la scène musicale contemporaine suisse et internationale par ses performances sonores subtiles et très esthétiques. Sa pièce In the Woods of Golden Resonances pour batterie solo a occupé une place particulière au sein d’une soirée musicale consacrée à la batterie. Un portrait d’Alexandre Babel.

Alexandre Babel
Le slogan sonne comme une invitation : sous le titre Aufbau/Abbau (montage/démontage), le percussionniste espagnol Miguel Angel Garcia Martin a organisé une soirée de concert entièrement consacrée à la batterie solo dans la série friendly takeover de la Gare du Nord à Bâle. Six créations visaient à mettre en lumière la réalité logistique du percussionniste professionnel. En effet, le montage et le démontage de ces instruments pour un concert prennent en général presque autant de place et d’importance que le moment musical lui-même. Même si le thème de la soirée peut paraître a priori anecdotique, il était en l’occurrence à la base d’un questionnement aux nombreuses ramifications, que tous les contributeurs invités se sont appropriés en créant une nouvelle œuvre. In the Woods of Golden Resonances de Cathy Van Eck en est un exemple révélateur.

 

Portrait Cathy van Eck zVg. Cathy van Eck.

 

In the Woods of Golden Resonances montre le batteur Miguel Angel Garcia Martin au centre de la scène, dans une relative pénombre, avec une lampe frontale rouge, de sorte que le public ne distingue que sa silhouette. Avec des mouvements lents et contrôlés, il se dirige vers une cymbale posée sur le sol dans un coin de la scène, la soulève puis la tient à hauteur de bouche en position horizontale. Un son de respiration distinct et amplifié indique que le performeur porte un microphone et souffle sur l’instrument, comme s’il essayait d’en enlever la poussière. Ce son est manifestement traité électroniquement, et sa restitution par les haut-parleurs constitue la majeure partie de l’environnement sonore. « En soufflant, le ‘volume’ des deux haut-parleurs dans la pièce augmente et un son de feedback acoustique est créé. Toute la pièce est constituée de ces feedbacks, comme si Miguel ‘respirait’ la pièce », explique Cathy van Eck.

Il se dirige ensuite vers un support métallique sur lequel il pose son instrument. Cette action simple, mais soigneusement chorégraphiée, est répétée plusieurs fois avec d’autres cymbales cachées dans la pièce. Il permet au public d’observer la construction progressive et ritualisée d’une installation de percussions sur scène.

Dans les œuvres de Cathy van Eck, le corps du musicien est souvent au centre. La Néerlandaise est titulaire d’un doctorat de l’Université de Leyde. Elle publie et fait de la recherche, entre autres, sur les liens possibles entre gestes, capteurs et sons, et enseigne au Sound Arts Department de la Haute école des arts de Berne. «Dans In the Woods of Golden Resonances aussi, une forte relation entre les mouvements du performeur et son matériel est établie. Ses mouvements ne sont pas conçus comme un ‘montrer vers l’extérieur’, avec comme but de ‘contrôler le son’, mais plutôt comme une recherche et une perception prudentes. C’est pourquoi, dans cette pièce, Miguel a une attitude différente sur scène par rapport aux autres pièces de la soirée », explique van Eck.

 

Cathy van Eck, In the Woods of Golden Resonances, Miguel Angel Garcia Martin, création mondiale Gare du Nord Basel, 9.4.2024.

La force de In the Woods of Golden Resonances réside dans son placement formel répétitif et simple. La pièce sert à passer d’un état A à un état B et se termine une fois l’installation terminée. La partition de Cathy Van Eck ne prévoyant pas de jouer sur les cymbales une fois installées. Au lieu de cela, elles servent de structure pour une autre pièce du programme, Cymbals de Barblina Meierhans. La pièce de Van Eck ne traduit donc pas seulement exactement le thème du concert, mais tisse aussi un lien concret avec l’élément suivant de la soirée.

Le moment de l’installation, la transformation de la scène, constituent entièrement la pièce, alors que l’on cherche habituellement à réduire la durée et l’importance de la transformation pour assurer la fluidité musicale, In the Woods of Golden Resonances fait exactement le contraire. L’oeuvre utilise cet espace entre deux états pour un moment d’introspection dans l’intimité du musicien. Les choix esthétiques de Van Eck, comme l’atmosphère rêveuse créée par la pénombre ou l’impression sensuelle laissée par l’amplification des bruits de respiration du musicien, soulignent cette introspection.

L’effet de l’œuvre est d’évoquer de manière poétique la réalité technique du batteur avec son instrumentation, tout en la reliant à la réalité de son environnement. La dimension spatiale de la salle de concert est également soulignée. Cathy van Eck explique à ce sujet : «Les sons naissent d’une interaction entre la position exacte dans l’espace de Miguel, des cymbales, des haut-parleurs et bien sûr aussi l’acoustique de la salle».

Mais Van Eck va encore plus loin en invitant le public à se considérer partie prenante du processus. Des effets sonores comme le traitement électronique à haut volume créent une impression d’immersion et le ‘ballet’ proprement dit du batteur donne au public l’illusion de faire partie du processus. Enfin, grâce à l’effet de lumière, elle ‘neutralise’ la figure du batteur en simple silhouette à laquelle chacun peut s’identifier. Van Eck explique à ce sujet : «Dans ce cas, la lumière était une décision du batteur Miguel, qui a travaillé avec moi et le metteur en scène. Je peux très bien imaginer cette pièce dans un environnement plus lumineux. Pour moi, la façon dont la lumière est conçue dépend beaucoup de la salle».

In the Woods of Golden Resonances fait partie d’une série d’œuvres successives et différenciées. Cette composition subvertit les attentes habituelles d’une pièce de concert tout en respectant son code primaire, car le traitement du son est si intéressant qu’il peut tout aussi bien être ‘écouté’.

Mais le rôle de l’œuvre individuelle ou de son créateur est remis en question au profit d’une unité qui crée un lien entre les éléments. Je me demande si la nécessité de la création ne réside pas dans le fait qu’elle fasse passer d’un état à un autre ?
Alexandre Babel

Alexandre Babel est originaire de Genève et vit à Berlin. Compositeur, percussionniste, curateur et publiciste, ce texte est sa première contribution au blog de neo.

Neo-profiles :
Cathy van Eck, Gare du Nord, Alexandre Babel

Sendungen SRF Kultur:
Musik unserer Zeit, 29.01.2014: Grünes Rauschen – Klangkunst mit Cathy van Eck, auteure/rédactrice Cécile Olshausen.
Onlinetext, 28.01.2014Bei Cathy van Eck klingt Gewöhnliches ungewöhnlich, auteure Cécile Olshausen.
Musik unserer Zeit, 16.6.2021: Alexandre Babel: Perkussionist, Komponist, Kurator, auteure/rédactrice Gabrielle Weber.
neoblog, 10.09.2021un projet est avant tout une rencontre.., auteure Gabrielle Weber.

la ville – une composition géante

Du 21 au 25 octobre, à la Chaux-de-Fonds, Les Amplitudes dévoilent leur 9e édition imaginée par le percussionniste, curateur et compositeur Alexandre Babel.

Anya Leveillé
Entre Genève, sa ville natale, et Berlin où il vit depuis de nombreuses années, Alexandre Babel parcourt le monde en solo et avec des ensembles, explorant en tant qu’interprète, compositeur et curateur, les musiques contemporaines, improvisées et expérimentales.

Directeur artistique d’Eklekto, percussionniste-batteur au sein de l’ensemble KNM Berlin ou du trio expérimental Sudden Infant, performeur avec Mio Chareteau dans le collectif Radial, compositeur pour des effectifs instrumentaux variés (dont un chœur de caisses claires et un duo violoncelle-piano) ou des films d’animation de Delia Hess, Alexandre Babel étend ses recherches sonores à travers des pratiques artistiques multiples qui se reflètent, aux Amplitudes, dans une série d’événements mêlant concerts, performances, conférence, projections et balades sonores.

Alexandre Babel Portrait © Martin Baumgartner

En lançant un coup de fil (ou plutôt un coup de « Zoom ») à Alexandre Babel dans son local de répétition berlinois, on évoque ce festival atypique que sont les Amplitudes. Sa composante monographique, qui rend l’évènement unique au sein de la galaxie des festivals de musique contemporaine, permet au public de découvrir l’atelier de création de l’artiste invité, dont la programmation révèle les espaces urbains et le patrimoine bâti de la Chaux-de-Fonds.


Comment avez-vous abordé la programmation pour les Amplitudes ?

Les Amplitudes me permettent de lier mes trois activités principales [instrumentiste, compositeur et programmateur] au sein d’un même événement qui s’inscrit dans un cadre précis, celui de La Chaux-de-Fonds. La ville devient le théâtre d’une gigantesque composition qui commence le premier jour du festival et se termine au concert de clôture. Cette « composition » est constituée de paramètres musicaux, sociaux et urbains que j’envisage comme une seule entité formée par une constellation de concerts, d’événements et de rencontres.


Alexandre Babel, the way down pour violoncelle et piano, Duo Orion 2020

Vous évoquez la ville qui se transforme en une composition géante. Est-ce pour composer cette partition urbaine que vous avez choisi, en ouverture du Festival, ‘Memory Space’ d’Alvin Lucier, qui joue, justement, avec les espaces sonores d’un lieu ?

Cette pièce d’Alvin Lucier est programmée dans le cadre de l’événement intitulé « J’écoute la ville » qui a été élaboré par Thomas Bruns, directeur artistique de l’Ensemble KNM Berlin. Ce projet, qui permet de créer une sorte de carte postale urbaine en situation, invite les participants à se laisser guider, les yeux bandés, à travers les rues de la ville, en la découvrant ainsi non pas par le regard, mais par l’ouïe. Dans Memory Space, Alvin Lucier adresse aux interprètes, en guise de partition, un texte qui indique la marche à suivre pour l’interprétation. Les musiciens se rendent dans un lieu dont ils devront mémoriser la situation sonore par différents moyens (enregistrement, prise de notes, dessins), mais au moment du concert, il leur faudra reproduire de mémoire avec leur instrument, l’empreinte sonore du lieu visité. A la Chaux-de-Fonds, ces déambulations révéleront plusieurs strates d’écoute avec les participants qui se baladeront en écoutant les sons des rues et les musiciens qui vont restituer musicalement ce qu’ils ont entendu dans le passé.

la ville se transforme en une composition géante

Quelles sont pour vous les spécificités sonores de la Chaux-de-Fonds ?

Après avoir participé à la production du projet « J’écoute la ville » dans de nombreuses villes, la Chaux-de-Fonds m’a parue extrêmement silencieuse. Parfois, on a même de la peine à trouver un endroit très sonore, mais en se promenant dans les rues, l’ouïe s’ouvre et on commence à entendre des sons plus tenus, plus lointains. Ce projet est très intéressant, car il permet de raconter vraiment quelque chose sur la ville.

J’écoute la ville / Nicolas Masson

Mis à part ces balades sonores, est-ce que la Chaux-de-Fonds vous a inspiré pour les autres évènements programmés aux Amplitudes ?

Forcément, car c’est une ville qui inspire beaucoup d’images à commencer par son plan urbain qui est vraiment très particulier. Le Pod, cette avenue centrale gigantesque, et le découpage de la ville en quadrillé m’ont donné envie de créer un ou plusieurs projets déambulatoires. Et puis, il y a tout ce patrimoine de bâtiments liés à la musique et aux arts, ce qui est remarquable pour une ville de cette taille-là. La Salle de musique, le théâtre L’Heure bleue, L’Usine électrique… Ces lieux exceptionnels m’ont amené à me poser plein de questions : quelle était l’histoire que me racontait cette salle ? Qu’est-ce que je pouvais y faire ? Comment telle ou telle partition combinée à une autre pièce permettait de « révéler » un lieu spécifique ?

la Chaux-de-Fonds m’a parue extrêmement silencieuse

Vous n’avez pas programmé que des concerts pour cette neuvième édition des Amplitudes…

Je m’intéresse à la vibration sonore, au son, en priorité, mais la question de cette vibration sonore peut avoir différentes applications qui ne sont pas forcément réalisables dans le cadre d’un concert. Aux Amplitudes, j’ai, entre autres, programmé une conférence, au Club 44, avec l’artiste plasticienne, Latifa Echakhch et le compositeur et philosophe, directeur du GRM François Bonnet.  Avec Echakhch, je suis à l’aube d’une collaboration autour d’un projet d’exposition où la question de la vibration sonore n’aboutira pas à un concert ou à un autre type de représentation sonore, mais prendra d’autres formes à travers un travail plastique et conceptuel.


Thomas Kessler, 5+5: Eklekto, 2017

Et c’est là toute l’originalité des Amplitudes ! Proposer un focus sur un artiste, mais en allant explorer les différentes ramifications de sa pratique ou de sa pensée. Ce procédé permet de construire une balade au fil de laquelle, on découvre plein de recoins différents qui, mis bout à bout, vont créer et façonner une image qu’on peut se faire d’un propos artistique.
Interview: Anya Leveillé

Delia Hess, Ensemble KNM BerlinSudden Infant, Mio Chareteau, RadialEklekto Geneva Percussion Center

Emissions RTS:
2.10.20.: L’écho des pavanes, éditorial Anya Leveillé: Alexandre Babel aus Amplitudes
21. et 24.10.20, 19:03h: L’écho des pavanes: Live sur place aux amplitudes
19.10.20: Musique d’avenir, éditorial Anne Gillot: Portrait Alexandre Babel
26.10.20.: Musique d’avenir, éditorial Anne Gillot: concert finale en live

Emission SRF 2 Kultur:
21.10.20., 20h: dans: Musik unserer Zeit, éditorial Florian Hauser / invitée Gabrielle Weber & neo.mx3

Neo-Profiles: Les amplitudes, Eklekto Geneva Percussion Center, Alexandre Babel