Musique de création – de Genève à la GdN de Bâle

Gabrielle Weber : Interview Jeanne Larrouturou, Ensemble Batida & Diĝita : Romandie @GdN Basel_1, 26.11.10

L’instrumentation est inhabituelle mais convaincante : trois percussionnistes et deux pianos. Diĝita, une collaboration entre le collectif de dessinateurs Hécatombe et l’ensemble genevois Batida, qui associe musique et bande dessinée, peut être qualifiée d’encore plus inhabituelle. Le 26 novembre à la Gare du Nord, en saison « Romandie ».

Le focus de la Gâre Du Nord de Bâle pour la musique nouvelle s’étend sur trois saisons, avec trois fois trois concerts. À long terme, cela permettra de renforcer les liens entre régions linguistiques, particulièrement importantes en ce moment, car les ensembles romands ne peuvent pas s’y produire en raison des directives actuelles.

Le neoblog présente les ensembles invités et neo.mx3 vous invite à découvrir le concerts en direct avec la RTS.
Premier épisode : Ensemble Batida Genève : un portrait

Gabrielle Weber
J’ai discuté avec Jeanne Larrouturou, percussionniste et co-directrice artistique, via Zoom, depuis son Lockdown genevois. Larrouturou de nationalité française, a grandi à Genève et après avoir étudié à la Haute école de musique Genève (HME), elle s’est spécialisée dans la musique contemporaine à Bâle. Depuis, elle joue un rôle de médiatrice entre les scènes musicales des deux régions.

Ensemble Batida: Concert Le Scorpion © Pierre-William Henry

Le line-up de l’ensemble Batida est plutôt le fruit du hasard. Larrouturou explique que Batida a été formé à l’origine comme une « formation classique Bartok », en référence à la sonate pour deux pianos et percussions de Bartok composée en 1937/38. En 2010, quatre des membres de l’ensemble se sont réunis pour un concert final à la HME. D’autres performances communes ont suivi. Lorsqu’un percussionniste a quitté le groupe pour un séjour à l’étranger, Larrouturou est intervenue et est restée. Depuis, la formation de base n’a plus changée: les trois percussionnistes Jeanne Larrouturou, Alexandra Bellon et Anne Briset complètent Viva Sanchez Reinoso et Raphaël Krajka au piano.

Un coup de chance, car de nombreuses nouvelles œuvres ont été créées pour cette formation unique. D’une part par les compositeurs amis, d’autre par la composition collective des membres de l’ensemble. Cela aussi a commencé par hasard. Dans le cadre d’un projet avec une compagnie de danse, le chorégraphe avait demandé à Batida de composer quelque chose. « C’est ainsi que la première commission de composition est née et que nous avons continué à composer ensemble par la suite. Après cela, nous avons composé pour un projet avec un théâtre de marionnettes », dit Larrouturou.

Ensemble Batida, Haïku, composition collective 2013

« Le processus de composition se base premièrement sur l’expérimentation. Nous avons une idée de la structure générale, un concept. Ensuite, nous « faisons » : nous jouons, nous nous écoutons les uns les autres, nous nous enregistrons, nous écoutons la musique enregistrée ensemble. Nous structurons, organisons et enregistrons ». Une sorte de création qui combine l’improvisation et la notation. En règle générale, les éléments d’improvisation sont également préservés et maintenus.

musique de création

L’ensemble ne souhaite pas se situer dans un genre musical défini. « Nous sommes actifs dans la musique contemporaine. Mais nous n’aimons pas tellement ce qui se cache derrière l’étiquette », explique Larrouturou. En France, il existe plusieurs autres définitions réussies : « Musique de création » est le plus approprié pour elle : « le terme est suffisamment ouvert, mais en même temps, il exclut les « musiques contemporaines » traditionnelles.

Ensemble Batida: Mean E, kollektive Komposition 2013

Jusqu’à présent, Batida n’a eu que très peu de concerts en Suisse alémanique. Après le Concours Nicati de Berne 2014, des représentations au Festival ZeitRäume de Bâle et à Andermatt ont suivi. En Suisse romande et à l’étranger par contre, l’ensemble s’est produit dans le cadre de nombreux festivals, avec des tournées en France, en Russie, au Portugal et à Chypre. Une autre – avec Diĝita aux États-Unis – est prévue, mais a dû être reportée à cause de la pandémie.

Voici comment Larrouturou s’exprime à propos des échanges entre régions linguistiques : « Je vis à Bâle depuis environ quatre ans et j’ai mon réseau entre Bâle, Genève et Lausanne. Je ne cesse de m’étonner du peu de connaissance que les scènes ont l’une de l’autre. À l’université de Bâle, j’ai remarqué qu’il y avait des différences fondamentales dans l’orientation esthétique, certains artistes y sont considérés incontournables, en Suisse romande par contre ils sont pratiquement inconnus. La partie francophone de la Suisse est plus étroitement liée à la France, la partie germanophone à l’Allemagne ».

Avec le compositeur Kevin Juillerat, qui comme elle a étudié à Bâle tout en étant basé à Lausanne, Larrouturou s’occupe de la série de concerts Fracanaüm à Lausanne, dans le cadre de laquelle, ils travaillent pour surmonter ces divisions. « On ne se demande même pas d’où quelqu’un vient et nous invitons des acteurs provenant des deux régions. Je suis convaincue, qu’à partir de ces petites initiatives, des relations se développent sur le long terme ».

Mais Batida souhaite également construire des ponts. La plupart des projets sont transdisciplinaires et développés en collaboration avec d’autres artistes, provenants des domaines de la danse, du théâtre de marionnettes, de l’architecture, de la vidéo ou de la bande dessinée.

La collaboration avec le collectif de dessinateurs genevois Hécatombe par exemple ne s’est jamais arrêtée, depuis leur premier projet commun en 2016.

Ensemble Batida & Hécatombe: Oblikvaj, composition collective 2016-2018

« Au cours du premier projet commun ‘Oblikvaj’ (2016-2018), nous avons tout de suite remarqué d’être sur la même longueur d’onde. Chacun des cinq membres d’Hécatombe a créé une partition graphique, une bande dessinée en noir et blanc de 24 pages. Batida a réagi à cela par des compositions collectives, ce qui a extrèmement bien fonctionné ». Des concerts avec des rencontres en direct ont suivi.

Dans Diĝita il s’agit premièrement du processus de création commune. « En été 2019, nous nous sommes réunis pour une retraite de 14 jours dans une vieille ferme au milieu de nulle part. Nous n’avons pas pris nos instruments, mais collecté et enregistrés des sons existants, des grosses machines, des tracteurs et des moteurs par exemple ».

Diĝita, Trailer ©Gare du Nord, Batida & Hécatombe

Le titre Diĝita évoque d’une part les ‘doigts’, d’autre part le numérique par rapport à l’analogique. Les sons enregistrés et échantillonnés font référence au numérique, les musiciens interprètes au jeu avec les doigts. Les musiciens jouent dans un cube transparent. Les murs sont des écrans sur lesquels sont projetées les vidéos en 3D des artistes dessinateurs: les figures de bande dessiné grandeur nature des vidéos se superposent en aliénant ainsi les corps des musiciens réels dans le cube.

Diĝita a pu donner un concert à Lausanne le 31 octobre : « C’était une expérience in extremis. En sachant que nous n’aurions plus joué en live, nous avons encore plus apprécié ce moment », dit Larrouturou. La tournée de Diĝita avec les concerts de Genève a été interrompue à cause du lockdown en Suisse romande.

J’ai appris en cours de conversation que Batida fête son dixième anniversaire cette année. Une célébration avec partenaires et public est prévue à Genève, mais en raison de la pandémie, elle n’aura certainement pas lieu avant 2021.
Gabrielle Weber

Ensemble Batida Portrait ©Batida

Ensemble Batida: Klaviere: Viva Sanchez Reinoso, Raphaël Krajka
Percussion; Jeanne Larrouturou, Alexandra Bellon, Anne Briset
Diĝita: Video: Giuseppe Greco, Ton: David Poissonnier

Gare du Nord: Batida & Hécatombe: Diĝita, 26.11.20, 20h
(à cause du Lockdown bâloise, Diĝita était joué deux fois pour 15 personnes, avec Livestream)

Ensemble Batida, FracanaümKevin Juillerat, haute école de musique genève – neuchâtel, Hochschule Musik Basel, Hécatombe,

émission RTS:
l’écho des pavanes, 20.11.20, rédaction Anne Gillot, entretien avec Désirée Meiser, directrice Gare du Nord
émission SRF 2 Kultur:
dans: Musik unserer Zeit zu neo.mx3, 21.10.20, rédaction Florian Hauser / Gabrielle Weber

neo-Profiles: Ensemble Batida, Gare du NordAssociation Amalthea, Kevin Juillerat

La transdisciplinarité comme moteur de recherche

Dans cet article, Viva Sanchez Reinoso, pianiste et co-fondatrice de l’Ensemble Batida et de l’association Amalthea à Genève, réfléchit à certaines pratiques de la création contemporaine en musique. Le texte se base sur son expérience dans le domaine de l’interprétation, de l’improvisation et de collaborations avec d’autres disciplines, dans le cadre des activités qu’elle mène depuis une dizaine d’années.

Ensemble Batida

Les défis auxquels sont confrontés les musiciens indépendants qui gèrent une structure associative afin de produire des projets pluridisciplinaires sont nombreux et nécessitent d’acquérir une prodigieuse palette de métiers complémentaires à celui d’interprète de haut niveau : compréhension et maniement des réseaux de production et de diffusion régis par des logiques autonomes et parfois peu perméables, conception des projets jusqu’à la comptabilité finale, fidélisation de publics d’horizons différents à la musique « contemporaine » qui porte malheureusement une étiquette stigmatisante. Ils doivent également faire face à une forme d’immobilisme provenant d’un certain conservatisme : institutionnalisation et mise aux normes des savoirs, défense farouche de la propriété intellectuelle, et, essentiellement, une division du champ créatif en disciplines et genres dont la définition est pourtant en constant remaniement.

Alors la question se pose : comment faire quand notre pratique se situe aux interstices de ces limites en perpétuel mouvement et que notre démarche intellectuelle se réfère davantage aux branches comparatistes des sciences humaines qu’aux modèles hérités de la tradition musicale classique ?

Pour désenclaver la musique contemporaine de sa niche ultraspécialisée – au niveau technique, mais également esthétique, les musiciens devraient entretenir un lien permanent et dynamique entre leur pratique et celle des autres acteurs de la création d’aujourd’hui.

Je parle ici non seulement des autres artistes ayant une pratique de l’art contemporain, mais également des autres genres musicaux, des champs de la science et des pratiques considérées comme non-scientifiques, afin de se mettre dans une optique d’anti-discipline féconde. Une constellation de pratiques qui questionnerait les évidences de chacune d’elles et leur permettrait de déplacer les enjeux de leur propre territoire artistique en se posant les questions des autres.

Brice Catherin, Numéro 2, Athenée, Viva Sanchez Reinoso

Pour rendre compte de cette démarche qui doit être appréhendée non projet par projet, mais plutôt par un ensemble de travaux, je fais un résumé succinct des trois prochaines productions auxquelles je prends part entre juin et novembre 2019. BIG – la Biennale des arts indépendants de Genève (28 au 30 juin), renommée pour cette troisième édition Biennale Interstellaire de Genève, réunira plus de 70 structures alternatives qui développent une vision de l’art transcendant les disciplines : théâtres, librairies, labels, collectifs divers et variés, festivals, épiceries, radios, cinémas. Je travaillerai avec un marionnettiste-astronaute, Padrut Tacchella, et un musicien expérimental spécialisé en lutherie électronique, Pierre Dunand Filliol, pour mettre en place une installation sonore reliant les étoiles au monde bourdonnant des humains présents dans l’espace du Galpon.

Les Jardins Musicaux accueilleront « Welcome to the castle » dans le Musée des Beaux-arts du Locle (1er septembre). Ce projet monumental de l’Ensemble Batida est une commande faite à Nicolas Bolens en 2017, pour lequel le groupe avait posé les cadres de la création : composition inspirée du rock psychédélique et faite sur mesure pour un château, l’espace dans lequel se déploie l’œuvre devant faire partie intégrante de la composition et demandant un remaniement pour chaque espace investi.

« Welcome to the castle », Nicolas Bolens, Ensemble Batida, première 2017 @Leon Orlandi

Dans le cadre de la saison de l’ABC, les compagnies Circo Bello et Amalthea présenteront « Variété » de Maurizio Kagel au Temple Allemand de La Chaux-de-Fonds (24 octobre au 3 novembre). Cette pièce de répertoire sera ainsi donnée pour la première fois en Suisse avec une équipe professionnelle de circassiens et de musiciens. Les représentations seront précédées d’un long travail au plateau avec le metteur en scène Fabrice Huggler.

Dans ces démarches interdisciplinaires, le rapport exclusif du musicien avec sa partition est remis en question ; il conçoit et dessine des univers particuliers, fait entrer en collision sa vision du phénomène musical avec les dimensions d’espace, de physicalité et de perception des autres acteurs. Il s’agit de co-construire et mettre en perspectives les savoir-faire qui permettent d’appréhender un texte musical, une texture sonore par l’improvisation, d’élaborer des installations, de commander des pièces ou d’interpréter des œuvres en créant des contextes et des mises en scène particuliers.

Je vous invite volontiers à assister à ces productions ainsi qu’à échanger plus longuement sur ce blog autour de ma thèse.
Viva Sanchez Reinoso

BIG BiennaleWelcome to the castleABC

profils neo: Ensemble Batida, Les Jardins Musicaux, Association Amalthea