La transdisciplinarité comme moteur de recherche

Dans cet article, Viva Sanchez Reinoso, pianiste et co-fondatrice de l’Ensemble Batida et de l’association Amalthea à Genève, réfléchit à certaines pratiques de la création contemporaine en musique. Le texte se base sur son expérience dans le domaine de l’interprétation, de l’improvisation et de collaborations avec d’autres disciplines, dans le cadre des activités qu’elle mène depuis une dizaine d’années.

Ensemble Batida

Les défis auxquels sont confrontés les musiciens indépendants qui gèrent une structure associative afin de produire des projets pluridisciplinaires sont nombreux et nécessitent d’acquérir une prodigieuse palette de métiers complémentaires à celui d’interprète de haut niveau : compréhension et maniement des réseaux de production et de diffusion régis par des logiques autonomes et parfois peu perméables, conception des projets jusqu’à la comptabilité finale, fidélisation de publics d’horizons différents à la musique « contemporaine » qui porte malheureusement une étiquette stigmatisante. Ils doivent également faire face à une forme d’immobilisme provenant d’un certain conservatisme : institutionnalisation et mise aux normes des savoirs, défense farouche de la propriété intellectuelle, et, essentiellement, une division du champ créatif en disciplines et genres dont la définition est pourtant en constant remaniement.

Alors la question se pose : comment faire quand notre pratique se situe aux interstices de ces limites en perpétuel mouvement et que notre démarche intellectuelle se réfère davantage aux branches comparatistes des sciences humaines qu’aux modèles hérités de la tradition musicale classique ?

Pour désenclaver la musique contemporaine de sa niche ultraspécialisée – au niveau technique, mais également esthétique, les musiciens devraient entretenir un lien permanent et dynamique entre leur pratique et celle des autres acteurs de la création d’aujourd’hui.

Je parle ici non seulement des autres artistes ayant une pratique de l’art contemporain, mais également des autres genres musicaux, des champs de la science et des pratiques considérées comme non-scientifiques, afin de se mettre dans une optique d’anti-discipline féconde. Une constellation de pratiques qui questionnerait les évidences de chacune d’elles et leur permettrait de déplacer les enjeux de leur propre territoire artistique en se posant les questions des autres.

Brice Catherin, Numéro 2, Athenée, Viva Sanchez Reinoso

Pour rendre compte de cette démarche qui doit être appréhendée non projet par projet, mais plutôt par un ensemble de travaux, je fais un résumé succinct des trois prochaines productions auxquelles je prends part entre juin et novembre 2019. BIG – la Biennale des arts indépendants de Genève (28 au 30 juin), renommée pour cette troisième édition Biennale Interstellaire de Genève, réunira plus de 70 structures alternatives qui développent une vision de l’art transcendant les disciplines : théâtres, librairies, labels, collectifs divers et variés, festivals, épiceries, radios, cinémas. Je travaillerai avec un marionnettiste-astronaute, Padrut Tacchella, et un musicien expérimental spécialisé en lutherie électronique, Pierre Dunand Filliol, pour mettre en place une installation sonore reliant les étoiles au monde bourdonnant des humains présents dans l’espace du Galpon.

Les Jardins Musicaux accueilleront « Welcome to the castle » dans le Musée des Beaux-arts du Locle (1er septembre). Ce projet monumental de l’Ensemble Batida est une commande faite à Nicolas Bolens en 2017, pour lequel le groupe avait posé les cadres de la création : composition inspirée du rock psychédélique et faite sur mesure pour un château, l’espace dans lequel se déploie l’œuvre devant faire partie intégrante de la composition et demandant un remaniement pour chaque espace investi.

« Welcome to the castle », Nicolas Bolens, Ensemble Batida, première 2017 @Leon Orlandi

Dans le cadre de la saison de l’ABC, les compagnies Circo Bello et Amalthea présenteront « Variété » de Maurizio Kagel au Temple Allemand de La Chaux-de-Fonds (24 octobre au 3 novembre). Cette pièce de répertoire sera ainsi donnée pour la première fois en Suisse avec une équipe professionnelle de circassiens et de musiciens. Les représentations seront précédées d’un long travail au plateau avec le metteur en scène Fabrice Huggler.

Dans ces démarches interdisciplinaires, le rapport exclusif du musicien avec sa partition est remis en question ; il conçoit et dessine des univers particuliers, fait entrer en collision sa vision du phénomène musical avec les dimensions d’espace, de physicalité et de perception des autres acteurs. Il s’agit de co-construire et mettre en perspectives les savoir-faire qui permettent d’appréhender un texte musical, une texture sonore par l’improvisation, d’élaborer des installations, de commander des pièces ou d’interpréter des œuvres en créant des contextes et des mises en scène particuliers.

Je vous invite volontiers à assister à ces productions ainsi qu’à échanger plus longuement sur ce blog autour de ma thèse.
Viva Sanchez Reinoso

BIG BiennaleWelcome to the castleABC

profils neo: Ensemble Batida, Les Jardins Musicaux, Association Amalthea

 

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