Et après??? 1_2

Laurent Estoppey, compositeur, saxophoniste, artiste sonore et directeur artistique de l’Ensemble BaBel Lausanne, peut être considéré un pont musical entre l’Europe et les Etats-Unis depuis de nombreuses années. Il a initié de nombreux projets de collaboration intercontinentaux entre musique expérimentale, transdisciplinaire, improvisée et art sonore.

En tant qu’expert des deux continents, je l’ai invité à s’interroger et s’exprimer par rapport aux conséquences de la pandémie du corona virus sur la création musicale des deux côtés de l’Atlantique.

Estoppey a mené une enquête à grande échelle des deux côtés de l’océan Atlantique – la conclusion : la pandémie a révélé la fragilité du système et encouragé une remise en question fondamentale du secteur de la musique en tant que tel, mais elle a également inspiré de nouvelles méthodes de création et de collaboration.

Je vous invite à découvrir ses propos… – un texte en deux parties:

Portrait Laurent Estoppey©Wayne Reich

voir les choses en face ⎜1/2 

Laurent Estoppey
Bon, on va pas se le cacher, on s’est toutes et tous pris un sacré coup de massue. Et même pas forcément « que » financier, quelque chose qui nous touche au plus profond, une crise existentielle qui nous oblige à rêver à d’autres possibles.

Est-ce que la pandémie et ses conséquences sont vécues de la même manière des deux côtés de l’Atlantique?

Pour tenter de répondre à cette question – et comme il y a presque autant de situations que de musicien.ne.s – j’ai envoyé au début du mois de juin un petit questionnaire à une quarantaine de musicien.ne.s ayant tou.te.s des activités plutôt indépendantes dans les domaines des musique contemporaines, improvisées et expérimentales.


Ensemble BaBel, Christian Marclay: Screenplay part.2

La générosité et la franchise des réponses m’ont particulièrement touché, reflet du besoin de s’exprimer en cette période de manques et frustrations. Là où je m’attendais à des réponses brèves, beaucoup ont développé de nombreux points de réflexions.

A ma grande surprise, à la seule différence que les musicien.ne.s aux Etats-Unis n’ont pas ou presque pas de possibilités de dédommagement (en sachant que les cachets – quand il y en a – sont bien plus bas que les suisses ou européens en général et les possibilités de subventions privées ou publiques entre cinq et dix fois inférieures), les réactions artistiques sont absolument les mêmes pour la plupart d’entre-elles.eux.


Ensemble Batida, Haiku

« On se rend compte que pour tout le monde, même si l’argent est important, ce n’est pas le principal. Les derniers mois ont empêchés des projets de se faire, instauré un doute immense chez la plupart d’entre-nous. »

« Cette situation a une influence sur ma vie et touche donc de fait aussi ma pratique artistique, mais plutôt par un effet global diffus, qui va se révéler, mais plus tard, sûrement. »

Si pour beaucoup d’américain.ne.s faire de la musique n’est que peu relié à l’aspect économique, les créateurs de musique suisses ont eu la preuve au-travers de la situation de la pandémie d’une grande précarité de notre profession. « Comme beaucoup de gens dans ce métier, je me protège en faisant un autre métier. »


Julien Mégroz, Défibrillation décongelée

Les réactions à la crise ont été – très logiquement – presque partout semblables: d’abord la frustration, la réaction aux arrêts forcés, puis la découverte d’autres espaces, physiques et temporels, qui nous ont mené.e.s à une profonde introspection, et à une grande remise en questions – en tous cas jusqu’à ce que les activités semblent recommencer – de la situation « d’avant ».

« Suis-je un créateur ou un gestionnaire de projets? »

Revenons alors à cet « avant «  par quelques remarques que beaucoup partagent:

« Dans un sens cela montre la fragilité d’un système. La musique est le parent pauvre des arts de la scène. Principalement car elle n’a su se professionnaliser à l’image du monde du théâtre et de la danse « .

« Cette crise met en exergue la manière « bout de ficelle » denvisager le métier de musicien en Suisse, on se démerde comme on peut pour gagner sa vie et avoir assez de temps pour créer. ».

« Cela a permis de mettre en lumière la précarité et les dysfonctionnements à lendroit des musiques de création. »

« Est-ce que ce mode de fonctionnement génère vraiment un travail de qualité ou ne fait-il qu’ajouter des ‘events’ en plus à la quantité de produit culturels environnants?

Qu’est-ce que j’ai vraiment à dire en tant qu’artiste? Est-ce que je veux être encore longtemps aussi dépendant d’un marché culturel et d’un soutien étatique ou privé?

Suis-je un créateur ou un gestionnaire de projets? « 


Laurent Estoppey, Always something there

Toutes les questions déjà en présence avant la crise sont cruciales. On observe cependant une effrayante différence des deux côtés de l’Atlantique. Là où les américain.e.s ont baissé les bras depuis longtemps sur d’éventuels revenus provenant de leurs activités artistiques (la plupart enseignent à plein temps et n’ont que très peu de temps à consacrer aux concerts ou ont des professions totalement autres « pour payer les factures », comme informaticiens, traducteurs, graphistes…), les suisses veulent croire à une valorisation de leur art. Mais: « On nous demande à nous d’être créatifs, de rebondir, de trouver des solution, alors qu’à mon sens le combat est politique. La question est: voulons-nous de réelles conditions de travail pour les artistes et les musiciens? »
Laurent Estoppey (1/2 )

Liens à des projets spécifiques réalisés durant le confinement:
Atomwrec Bob Parking Garage Bidness
Brice Catherin / Noisebringers
Jacques Demierre Decálogo Sonoro – 3° entrega
Nicolas Lira 72 seconds solos
Dragos Tara Lisières (avec entre autres Patricia Bosshard, Laurent Estoppey…)
Andrew Weathers Llano Estacado Monad Band
Association Insubordinations / Cyril Bondy, Jacques Demierre, Anouck Genthon…
ensemBle baBel Walking Venezia
Hyper-Duo (Julien Mégroz et Gilles Grimaître)
Article suggéré par Julien Mégroz

Les textes en italiques sont des citations de musicien.ne.s ayant participé au sondage:
Antonio Albanese, Aaron Bachelder, Cyril Bondi, Patricia Bosshard, Laurent Bruttin, Brice Catherin, Vattel Cherry, Jacques Demierre, Susan Fancher, Edmée Fleury, Antoine Francoise, Shawn Galvin, Anouck Genthon, James Gilmore, Gary Heidt, Jonas Kocher, Antoine Läng, Nicolas Lira, Julien Mégroz, David Meier, David Menestres, Luc Müller ,Raphaël Ortis, Robert Pence, Will Redman, Noëlle Reymond, Viva Sanchez, Dragos Tara, Vinz Vonlanthen, Andrew Weathers.

Un immense merci à tou.te.s!

Neo-Profiles: Laurent Estoppey, Association Amalthea, Julien Mégroz, Jonas KocherDragos Tara, Ensemble Babel, Jacques Demierre

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